Portrait #10 : Le coup d’œil du diable, l’ambiguïté des couleurs et la même chemise que Kennedy

24 octobre 2019

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Cher portrait,

Merci beaucoup d’accepter d’être notre portrait aujourd’hui. Je vais démarrer par une première question : comment êtes-vous habillé(e) aujourd’hui et pourquoi avez-vous choisi ces habits ce matin ?

Aujourd’hui, je porte un costume et, fait peu ordinaire, je porte aussi une cravate. Il m’arrive souvent d’en porter, néanmoins, ces dernières semaines je n’en n’avais porté. J’ai réfléchi en m’habillant ce matin, je l’avais même décidé hier soir, que je porterais une cravate aujourd’hui. Parce que j’avais un rendez-vous avec une banque. Je considère que cela fait partie de mon armure.

C’est-à-dire que je considère que j’ai un bleu de travail, comme les autres, celui d’un cadre, et que la cravate est « le petit plus ». Sachant que je pourrais être en jean comme tout le monde. Mais ce n’est pas mon intention, ce n’est pas mon souhait, ce n’est pas ma volonté. Et la cravate, c’était pour marquer mon esprit offensif.

Vous associez votre cravate à une armure. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus ?

Je considère que s’habiller n’est jamais anodin. Il est très rare pour moi que je m’habille sans choisir. Et je m’habille toujours en projetant les choses. Donc, même une tenue de weekend chez moi est étudiée. J’ai même une tenue dite « de voyage ». C’est-à-dire que je ne conduis jamais en short.

Pour quelle raison ?

Parce que je considère que si je dois demain remplir un constat d’automobile en short, ce qui m’est arrivé une fois dans ma vie, je ne vais pas être crédible, et que je vais me faire défoncer !  C’est encore un élément d’armure. Le vêtement est une armure. Il est un cheval aussi. Un accessoire – je suis cavalier ! C’est à la fois une armure, une arme, une protection et un outil. Donc, ma tenue n’est jamais anodine.

Vous faites référence au vêtement comme arme tantôt défensive, tantôt offensive. De quel côté cela penche le plus ?

Je pense que ça penche plus pour la défense. Il y a sans doute un rapport au corps derrière. N’étant pas d’un naturel forcément athlétique, je pense que j’ai besoin de me protéger. C’est sans doute plus un système de défense. Et puis, d’être aussi conforme à ce que les gens attendent de moi. Et cela peut être de manière directe comme indirecte.

C’est-à-dire que, si je vais en province, et que je vais rencontrer des provinciaux, ils s’attendent à rencontrer un(e) parisien(ne). Et je vais faire plus parisien(ne) que jamais. Parce que ce qu’ils ont acheté, c’est un Monsieur / une Madame de Paris. Je tiens compte de mon public de la journée pour choisir. C’est professionnel, c’est personnel aussi.

Et le weekend, vous vous habillez comment ?

J’essaye toujours, d’une manière ou d’une autre, de faire preuve d’élégance. Je déteste le manque d’élégance. Je considère qu’on peut être habillé de manière extrêmement cool, mais il faut toujours avoir quelque chose un accessoire élégant. Pour être dans la bonne note. Je préfère être trop habillé que d’être le dernier con…

Vous parlez des accessoires qui rendent élégants. Qui de fait, sont indispensables. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus ?

Il faut préciser qu’aujourd’hui, je porte des boutons de manchettes. J’ai beaucoup de boutons de manchette, même si je porte souvent les mêmes. Je considère que le trait masculin n’est de ne pas porter de bijoux. Et que les accessoires sont nos bijoux. Mais les accessoires ne sont pas tant importants parce qu’on les montre, que parce qu’ils sont là.

Par exemple, j’ai un accessoire que je porte tous les jours et qui est invisible. J’ai des baleines en métal amovible dans chacun des cols de mes chemises. Ce n’est pas un accessoire au sens « visuel » du terme, mais néanmoins, je déteste sortir sans mes baleines en métal.

Est-ce que cela fait partie de votre armure ?

Cela fait très clairement partie de mon armure ! Je me suis même dit que je devrais les aiguiser pour disposer d’un couteau sur moi ! Je suis sérieux(se), c’est vrai ! Surtout, que l’on passe la douane sans problème avec ça !

Pour vous, c’est important qu’un col soit bien mis ?

Déjà pour moi, c’est important qu’il y ait un col. Je dis cela pour moi. Je comprends très bien que les autres n’en aient pas. Moi, j’ai remarqué que quand je n’ai pas de col, je n’ai l’air de rien. Et que j’ai l’air encore plus grave que ce que je suis vraiment !

Oui, que le col soit bien mis, cela a du sens. Même si, dans le fond, je suis assez sensible à l’idée que des petits défauts d’élégance, font partie de l’élégance. C’est-à-dire que si un col est un petit peu mal mis, cela peut être terriblement charmant. Cela peut vraiment détourner l’attention. Et la question de la tenue vestimentaire, de l’accessoire, dans le fond, elle repose dans le détournement de l’attention, ou pas.

Je viens d’un monde professionnel, où l’on m’a demandé de ne jamais porter de cravate qui détourne l’attention. Je porte des chemises blanches, parce que c’est la couleur qui pose le moins de discussions. Et que c’est donc conforme à l’idée. Si on veut être bon, il faut commencer par ne pas être mauvais. Vestimentairement, je m’applique le même principe.

Quand on dit comme ça les choses, on a l’impression que je suis extrêmement maniaque ou perfectionniste. Mais… ce n’est pas aussi simple que cela. Je considère que je suis un ancien moche et mon ambition, c’est de devenir un nouveau beau.

C’est intéressant ce passage que vous décrivez. Ce passage d’ancien moche à nouveau beau, comment cela s’est-il manifesté ? Et comment cela s’est-il opéré ?

Je peux le dater au jour près, puisque j’ai vraiment mal vécu la pré-quarantaine. C’est-à-dire, six mois avant, je me suis dit, « je bascule du côté obscur de la vieillesse, dont on sait tous qu’elle est un naufrage ». Avant d’avoir quarante ans, je me suis dit « c’est l’enfer ». Et puis j’ai eu quarante ans. Et je me suis rendu compte que c’était l’eldorado. En fait, 40 ans, c’est l’eldorado masculin.

Nous, les hommes, nous sommes des êtres en devenir. Avant, on est des choses mal finies. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est que l’une de mes ex m’a dit : « toi tu appartiens à la catégorie des mecs qui n’étaient pas terribles à 25 ans, et qui sont devenus vachement bien à partir du moment où ils ont eu 40 ans. » Et c’est vrai qu’à 40 ans, tous les possibles explosent. Vous êtes un enjeu pour une stagiaire, vous pouvez séduire l’amie de votre père, tout est possible ! Alors qu’avant, on n’a pas de pouvoir, on n’a rien ! Je pense que 20 ans c’est le pire âge pour un homme, parce qu’on ne ressemble à rien ! Les femmes ont le pouvoir quand on a vingt ans. A quarante ans, commence la deuxième partie du match : la revanche !

Comment ce changement s’est-il opéré pour vous ?

J’ai commencé à prendre confiance en moi, tout simplement. J’ai constaté que les choses avaient changé. Mais ce n’était pas visuel. Je n’appartiens pas à cette catégorie d’hommes après qui aucune femme ne se soit jamais retournée. Donc, ce n’était pas visuel. C’était psychologique. Et, en fait, ce que je crois, c’est que dans une certaine mesure, on peut dire qu’à quarante ans, j’ai trouvé mon style.

Si je dois le connecter aux vêtements, à quarante ans j’ai trouvé mon style. Je pense que je l’ai approché avant. Je l’ai même touché ! Et puis j’en suis reparti, et puis j’ai fait des écarts, etc. Mais après, je l’avais trouvé. Je l’avais trouvé, je le savais, et finalement j’ai fait la paix avec moi-même et avec mon style. Je savais où j’allais. Et j’ai accepté ma différence. En tout cas, ma singularité.

Et votre singularité, ou sa manifestation dans votre style, comment vous la définissez ?

Il y a une question d’inattaquable… le concept, c’est être inattaquable. Là, c’est optimisé. Le détail est pensé. Même s’il m’arrive de porter une chemise dont le col est vaguement élimé, je l’ai choisie le matin, et je sais que le col est élimé. Je déteste découvrir un truc que je n’ai pas vu !

Est-ce que ça veut dire que je suis dans le contrôle… oui, on peut le dire ! C’est désagréable à dire, mais oui ! Cela veut dire surtout que j’estime avoir suffisamment réfléchi pour être arrivé au meilleur de ce que je pouvais arriver. Je ne crois pas que je puisse faire mieux… mais je vérifie quand même de temps en temps !

Honnêtement, c’est la séduction. Et la question de la séduction, elle est centrale. En tout cas pour moi. Je ne comprends pas qu’elle ne le soit pas pour tout le monde. Et je crois qu’elle l’est pour tout le monde. Même ne pas vouloir séduire, c’est déjà vouloir séduire !

Quand vous parliez au début de l’entretien que vous adaptez votre tenue vestimentaire aux attentes de l’autre. Comment cela vient-il s’imbriquer avec le fait que vous ayez trouvé votre style ?

Je joue avec l’idée préconçue que les gens ont de moi. Comment ils réagissent à qui ils vont voir. Comment ils se posent la question de l’enjeu de la rencontre.

Alors que je me débrouille parfaitement bien en improvisation. Peut-être même suis-je meilleur en improvisation. Mais je préfère préparer. Si je prépare, mon style, pour répondre à votre question… l’idée générale, c’est d’être conforme à l’idée qu’ils attendent de moi… avec peut-être quelques cookies en plus ! Avec des pépites de chocolat dedans.

On va revenir sur ce que vous décriviez en préambule, sur votre bleu de travail. Qui est votre costume. Qu’est-ce que vous attendez d’un costume ?

Je l’ai dit tout à l’heure, qu’il me protège. Qu’il me permette d’incarner. Qu’il me permette d’incarner ce que je souhaite être. Il y a une chose qui est importante : ce que je ne viens pas de ce monde-là. Tout cela, je l’ai choisi. Pour des tas de raisons. Je suis un homme qui lutte contre son destin, et la façon de choisir mes vêtements, c’est une façon de lutter contre mon destin.

Vous faites assez peu référence, depuis le début de l’entretien, à un rapport à une matière, à une qualité, à des couleurs. Est-ce que ce sont des choses importantes pour vous ?

Oui, évidemment. Dans le sens où, quand je parle d’optimisation, je parle d’excellence. Donc, j’avoue que j’ai du mal à ne pas prendre ce qui a de mieux. Néanmoins, pour essayer de rester raisonnable et de ne pas sombrer dans le maniérisme, qui serait pour moi une horreur, j’ai adopté une stratégie qui est de dire « je prends, non pas le produit phare, mais juste celui du dessous ».

Celui qui conjugue une forme de discrétion. Donc, mes choix de couleurs, et je l’ai dit tout à l’heure aussi, sont articulés autour d’une forme de discrétion. Moi je crois que l’élégance est discrète. Donc si j’ai le plus beau tissu, il faut qu’on se demande si j’ai le plus beau tissu, mais qu’on n’en ait pas la certitude.

Pour rien au monde je ne porterais un truc dont on voit la marque. C’est un truc… ce n’est pas moi. Et je me fiche de la marque d’ailleurs. Parce que seul le résultat compte. J’ai horreur des matériaux qui ne sont pas nobles. Mes choix de couleurs sont nobles. Ils sont francs. C’est-à-dire que je ne vais pas choisir une couleur ambigüe. Ma femme appelle cela les couleurs « subtiles ».

C’est quoi les couleurs subtiles ?

Je ne savais pas ce que c’était que les couleurs subtiles… Par exemple, chez moi, il y a un mur dont je ne peux pas dire la couleur. Je constate, que, de temps en temps, ma belle-mère ou ma femme portent des vêtements dont je ne peux pas nommer la couleur. Et moi, je ne peux pas porter de couleur que je ne peux pas nommer. Toutes ces couleurs ambigües, c’est par exemple, un vert de gris, je ne sais pas ce que c’est. C’est vert, c’est gris, il y a du bleu dedans ? Cela me tracasse un peu.

J’aime bien que la couleur soit simple. Alors, j’ai appris qu’il y avait des valeurs autour des couleurs. Vous ne me verrez jamais porter de cravate rouge.

Pour quelle raison ?

Parce que ce n’est pas chic. Et la notion du chic, elle est centrale. Et ça, je ne peux pas faire autrement. Alors, moi, j’ai beaucoup de chance, c’est que le bleu est super à la mode.

C’est la couleur préférée des français, c’est la couleur de l’affirmation de soi. J’ai appris ça. Et en fait, ça tombe bien, parce que moi, je ne risque pas de faire autre chose ! Et j’ai porté du gris, du gris anthracite, et j’en porte encore. Mais, j’ai remarqué que, le bleu, c’est la couleur d’une forme de sobriété. Alors, c’est vrai pour les hommes. Les femmes peuvent jouer sur une plus grande nuance. Vous avez tout un choix qu’on n’a pas. Je ne le regrette pas. Même si je prends beaucoup de plaisir à habiller les femmes !

Qu’est-ce que cela veut dire, pour vous, « habiller les femmes » ?

J’achète des vêtements à mon épouse, sans elle. J’achète des vêtements à mes filles, sans elles. Et je le fais vite et bien ! J’ai un meilleur coup d’œil qu’elles. Je suis capable de dévaliser Zara en 20 minutes. Et ensuite, on ramène ce qui n’est pas pris. Ma femme est très élégante, mais je pense que j’ai un meilleur coup d’œil qu’elle.

Souvent, j’ai forcé sur des achats. Alors, qu’elle ne peut pas forcer sur moi. Et quand je dis qu’elle ne peut pas forcer sur moi, c’est qu’elle a un jugement moins sûr. On pourrait me forcer, mais ça n’a jamais donné un bon résultat. On pourrait sûrement y arriver, mais ce n’est pas arrivé, pour l’instant.

Et c’est quoi pour vous avoir le coup d’œil ?

C’est la ligne, l’allure, l’épure. La question de l’élégance, dans laquelle il y a une notion de discrétion, de classicisme, et en même temps de néo-classicisme. L’idée n’est surtout pas de perpétuer nos traditions, mais de faire preuve d’une certaine modernité dans la tradition.

Je ne cherche pas du tout à faire traditionnel. En fait, je n’aime pas tellement le traditionnel. De mon point de vue, je ne le suis pas. Je conçois que je puisse l’être pour d’autres. Mais je n’ai pas le sentiment de l’être. A aucun moment.

Pouvez-vous me décrire les boutiques dans lesquelles vous allez pour vous acheter un costume ?

J’achète mes costumes dans trois magasins différents. Il y a un petit tailleur sur-mesure qui est à Madeleine. Je ne sais plus son nom, mais il est très marrant, il est très sympa. Il un coup d’œil du diable !

Je vais prendre un exemple. J’arrive avec un costume, et il me dit « ah, vous portez un Wicket !». Je lui demande « comment vous le savez ? » Il me répond : « Parce qu’ils ne savent pas coudre les braguettes ! ». Et je regarde et je me dis « oh ! non de Dieu, il a raison ! ». Et du coup, maintenant, je reconnais les pantalons Wicket dans la rue ! C’est grotesque, mais c’est amusant !

Donc, il y a Wicket. Et il y a Smuggler. Ce n’est pas le sommet du luxe, ce n’est pas hyper coûteux. Je serais ravi d’acheter un costume chez Arnys, mais ce ne serait absolument pas raisonnable. C’est trop cher, Arnys. Moi, je vais prendre le 2e produit, celui qui est juste en dessous. L’achat par l’intelligence, c’est une forme d’élégance aussi.

C’est quoi pour vous un achat intelligent ?

Un achat intelligent, c’est celui qui ne succombe pas au caractère impératif de la mode. Moi, la mode pour la mode, ça me paraît grotesque !

Je me souviens avoir eu des associés qui portaient des pantalons trop courts, parce que c’était un peu la tendance à un moment… je leur ai laissée. Pour moi, cela n’avait aucun sens. La mode en tant que telle ne me convainc pas.

Soit, je suis convaincu… mais que cela soit à la mode ou pas… Je m’en fiche. Et donc, l’intelligence pour moi, c’est de choisir. Parce que dans le fond, et je me répète, je vis ma vie. Je choisis mes vêtements, comme je choisis ma vie.

Est-ce vous pourriez me décrire une expérience marquante que vous avez vécue en tant que client, que cela soit en positif ou en négatif ?

En achetant des vêtements ?

En achetant des vêtements, tout à fait.

C’est l’acte d’achat dans le magasin ou le fait de porter quelque chose de particulier qui m’a fait bouger quelque chose ?

L’un et l’autre.

Pour le magasin, c’est celui que je vous racontais, qui est très drôle. Et qui est horrible en même temps ! Cela fait des années que je porte des costumes Wicket et que, en fait, il y un truc qui déconne du côté de la braguette, bon sang ! C’est quand même grotesque.

Le deuxième truc, c’est une expérience amusante que j’ai faite, quand mon épouse m’a offert un imperméable Burberry. J’ai toujours porté des trenchs et j’en ai toujours eu. Mais je n’ai jamais eu de Burberry. Je ne sais pas combien ça coûte, mais je crois que c’est cher. Et Dieu sait que je sens que c’est une marque bling-bling. Et en même temps, l’imper Burberry, je trouve que « ça marche » !

On arrive à créer un lien avec cet objet.

Qu’est-ce qui fait que « ça marche » ?

L’éternel. L’éternel, parce qu’en fait… je pensais que c’était une marque qui avait un peu perdu son âme. Quand vous allez chez Burberry, et que vous voyez tout ce qu’ils vendent et qui n’est pas un imperméable, c’est fake, c’est de la daube en fait. Vendu super cher. Même l’écharpe, vous en avez une ou deux… au prix où ils la vendent, ce n’est juste pas sérieux ! Et alors, des chapeaux, des sacs à main, avec toujours le même monogramme… on s’en fout !

Tout ça, c’est juste la répétition stupide d’un achat qui a bien marché et sur lequel on tire, on tire ! Les gens du marketing sont passés par là, et ils se sont dit « on va faire une gamme, on va construire ça ».  Et moi, je jetais l’eau du bain avec Burberry… et puis on m’a acheté cet imper. Et je reconnais une chose : c’est qu’il y a un sentiment d’éternité dans un imperméable Burberry. Tout le reste de la gamme Burberry, je trouve que c’est une gigantesque arnaque. Mais l’imper, il est vrai ! En fait, le luxe ne doit pas se départir de la qualité. Pour moi, le luxe c’est la qualité.

Quand vous parlez de la couleur… je déteste le luxe qui n’est pas de la qualité, je déteste le luxe qui s’abîme, qui s’use. Ce n’est pas possible ! J’ai horreur que le luxe m’impose ses codes. Si vous allez acheter une paire de gants chez Hermès, ça coûte 700 balles à peu près, ou 800 balles. Ils n’ont jamais le modèle que vous voulez. Et c’est volontaire. Ils vous orientent vers un autre modèle. Et vous allez vous retrouver avec 700 ou 800 balles, avec une paire de gants qui n’est pas celle que vous vouliez au départ !

A 300 mètres de là, de l’autre côté de la place de la Madeleine, vous avez une petite maison de maroquinerie, un gantier, qui existe depuis un siècle. Qui fabrique à côté de la maison Hermès, probablement avec des cuirs d’un niveau comparable ou juste en dessous.

Si vous leur ramenez les gants qui ont été abîmés – ça m’est arrivé ! , et vous leur dites « les gars, il y a un truc qui s’est défait. » Ils vous les changent. S’il y a un supplément de prix, ils ne vous le facturent pas, ils vous disent « non, mais ce n’est pas grave, comme c’est abîmé, on vous l’offre ». C’est ce luxe là que je veux, celui des gens qui fabriquent des objets authentiques. Si le luxe n’est plus authentique, si le luxe devient juste de la mode, alors, le luxe n’est pas du luxe.

Et moi, j’aime le luxe quand il est effectivement incarné, quand il a de la chair. Moi, ce que je veux, c’est la qualité. Et dans le vêtement, ce qui compte c’est la qualité. Et j’ai horreur de la médiocrité des textiles. Je vais les choisir en fonction de cela. Et du coup, je vais réprouver tous les textiles qui ne sont pas naturels. Je ne porte pas de polyamide, pas de synthétique, rien du tout…

Est-ce que vous faites souvent des achats de mode ou luxe sur Internet ?

Oui, bien sûr.

Vous allez sur quels sites ?

Je n’achète pas du neuf. En fait, je n’achète pas. Je n’ai pas beaucoup acheté, mais je suis sur Vestiaire Collective, je suis sur Vinted, j’ai des alertes, mais pas spécialement pour moi. Parce que malheureusement pour moi, je ne trouve pas grand-chose.

Cela fait des années que j’achète mes chemises en Angleterre, par Internet. Je les paye extrêmement peu cher. Elles sont non-iron, soit en coton, mais que je n’aie pas à repasser ! Et je les paye à un prix dérisoire. La question du prix n’est pas centrale. J’achète sur Internet depuis longtemps. Il y a des choses qu’on peut acheter sur Internet, d’autres qu’on ne peut pas acheter sur Internet. Et, j’avoue que c’est agréable d’acheter du vrai luxe sur Internet.

Comme ce n’est pas dans mes moyens, et que, de toute façon, si ça l’était, je n’aurais pas envie de le dépenser, donner une vie supplémentaire à un objet ne pose pas de problème. La plus jolie paire de chaussures que j’ai offerte à mon épouse, était une paire de chaussures Chanel. Qu’elle a portée et reportée pendant des années… et qu’on avait achetée dans une friperie. Et c’était très agréable.

Les Louboutin ne m’ont pas procuré autant de plaisir. Même si je trouvais que c’était un bel objet.

Donc le digital, pas de problème, même si je me pose souvent la question de savoir ce que le luxe peut avoir à me raconter en digital. Parce que le luxe en digital… en fait, l’historique de l’objet lui apporte un parfum, de collectionneur. Et j’aime bien les collections, moi.

Qu’est-ce que vous collectionnez ?

Les femmes, les enfants, les voitures ! Non, j’ai une voiture de collection, c’est pour cela que je dis cela ! Qu’est-ce que je collectionne ? Je ne sais pas… la collection, elle s’impose à moi. Par exemple, il y a une cravate…

Ah oui, il y a autre chose, que c’est j’achète aussi chez Brooks Brothers, aux US en digital. Parce que Brooks Brothers a fermé en France, et j’ai pendant longtemps acheté des chemises chez Brooks Brothers. On peut commander sur-mesure aux Etats-Unis, et après ça coûte un bras, c’est super compliqué, mais elles sont vachement belles ! Et c’est la même chemise que Kennedy quand même !

Vous voyez, j’ai plein de boutons de manchette, et je n’ai pas cherché à faire une collection… mais je constate que j’ai largement de quoi faire une collection.

Et je cumule… mais, en fait, mes vêtements durent. Moi, j’aime bien avoir une histoire avec un vêtement. J’aime bien que l’histoire avec le vêtement, elle dure. C’est un peu comme dans Les Prédateurs, le film avec Bowie et Catherine Deneuve. Quand ils deviennent usés, je les emmène en Normandie dans un vieux tiroir, et je les stocke… ils ne sont pas morts ! Je peux les remettre. Et quand je les porte, on me dit « pourquoi tu ne le mets jamais ce truc-là ? », je leur dis « mais parce qu’il est en Normandie, et que d’habitude, je ne le porte pas ».

Et je donne à ces vêtements, de temps en temps, une seconde chance. Des années plus tard, c’est vachement marrant ! J’ai mes vêtements vivants, et j’ai mes vêtements qui ne sont pas complètement morts, et que j’ai gardés pour une autre vie.

Et cette autre vie, elle ressemble à quoi ?

Elle ressemble à la scène des Prédateurs. Vous l’avez-vu ce film ?

Non.

Les Prédateurs, c’est l’histoire d’un couple de vampires qui vit à New-York à l’ère moderne. Et en fait, elle, séduit des hommes à qui elle confère l’immortalité. Et les hommes deviennent immortels. En devenant vampires. Sauf qu’en fait, de leur immortalité, ils connaissent une dégénérescence. Et du coup, quand ils deviennent vieux, rabougris, de petites momies, ils ne meurent pas.

Du coup, elle les monte dans son grenier, dans lequel il y a tous les autres vampires, depuis que les Pharaons l’ont accompagnée. C’est la même histoire avec mes vêtements. C’est-à-dire que, même mes vieux vêtements, je peux les garder – pas tous les porter -, mais je peux les garder ! Et c’est une façon d’entretenir le souvenir de l’histoire que j’ai eue avec eux.

Mais vous ne les reportez pas forcément ?

Je ne les reporte pas forcément, mais je ne veux pas m’en séparer ! Certains, je m’en sépare, parce qu’ils étaient anodins. Mais, j’ai toujours ma chemise de marié. Je ne la mets pas, elle a un col cassé, elle a un plastron, c’est super chiant à porter, et tout…

Je ne peux pas la donner, la vendre ! Je l’ai portée une fois dans ma vie ! Elle a un prix. Elle a une valeur. Ce n’est pas un objet anodin. C’est la chemise de mon mariage. Ce qui avait de nul, c’est que je portais des vêtements loués ce jour-là ! Je dis cela parce que j’ai revu le DVD cette semaine. 25 ans plus tard.

Si on devait passer aux sous-vêtements, qu’est-ce que vous pourriez m’en dire ?

Je n’ai qu’un seul fournisseur. Et je ne peux pas en avoir d’autres. J’aimerais bien, mais je n’en ai pas trouvé d’autre. J’ai des sous-vêtements, on ne va pas dire luxueux, ils ne sont pas en soie, ils sont en coton… ils conjuguent… je ne sais pas ce que je peux vous dire là-dessus !

C’est quoi pour vous un bon sous-vêtement ?

D’abord, nous les hommes, on a qu’un seul sous-vêtement. C’est le caleçon, le boxer, ou le slip, mais c’est le même étage. Moi, je porte des caleçons, mais je ne porte que cela. Je porte des caleçons confortables. C’est-à-dire, qui soient équipés « d’une charpente ». Je n’envisage pas de faire autrement. Quand je vois mon grand garçon qui, lui, porte des boxers, je lui dis : « je ne sais pas comment tu fais pour porter tes trucs ! » « je suis désolé, j’ai besoin d’une charpente !».

Et je n’ai qu’un seul fournisseur, et je paie mes caleçons un bras ! 15€ ou 16€, ce qui est hyper cher pour un homme. Et j’en ai même d’avance, pas encore utilisés, et j’attends que les autres soient vraiment « foutus » pour pouvoir en changer. Comme ça, en cas de guerre, ou en pénurie de moyens, j’ai quand même ce qu’il faut !

Ce qui pour moi est le sommet du luxe : disposer d’un vêtement qu’on n’a pas encore porté et qu’on conserve pour l’avenir. Et en fait, je peux dire que cela date quand l’un de mes copains d’enfance… moi, quand j’étais gamin, je n’avais pas de grands moyens. Je suis issu d’une famille extrêmement simple et modeste. Ce que les gens ignorent pour des tas de raisons, et qui tiennent notamment à mon patronyme. Et mes manières, sans doute.

Mais je suis issu d’un milieu extrêmement modeste, très modeste. Et ce copain, il avait des chemises, qui étaient encore emballées dans son placard ! Et je lui disais « tu ne les mets pas tout de suite ? ». Il me disait « non, j’attends d’avoir l’occasion. » Mais moi, je n’avais pas assez de chemises pour en stocker !

Pour moi, le sommet du luxe, c’est d’avoir des vêtements « prêts-à-être portés » pour le jour où je me dis : « allez, j’y vais ! ». Et pendant des siècles, j’ai eu une chemise dans mon tiroir de bureau. En cas de tache, de toute façon, si je dois partir, j’ai une chemise d’avance…  Je suis juste prêt à l’Exode ! Le luxe, c’est quand je sais que j’ai trois ou quatre chemises d’avance dans mon placard, encore emballées… elles sont prêtes pour ma vie de demain ! Et c’est vachement important. Pour moi, en tout cas, je n’ai pas l’impression que cela soit le cas des autres hommes.

Pour quelle raison ?

Parce qu’ils n’ont pas de goût !  Et pire encore : ils n’ont pas de style ! En fait, ils ont été re-fringués par leurs épouses, ou leur moitié, ou leur maîtresse, et ça donne des résultats pathétiques. Ils sont habillés comme des sacs de patates la plupart du temps ! Mon grand garçon, il a 20 ans. Il n’est pas habillé comme moi. Il est toujours plus habillé que la moyenne. Donc, il a quand même le tropisme de son père. Mais, je vois bien que lui aussi se défend avec ça. Donc, je lui ai transmis ça. Et c’est très bien je trouve. Transférer la névrose c’est important !

Et après ce transfert de névrose, comme vous le dites, est-ce que vous vous sentez mieux ?

Mais carrément ! Mais que les choses soient claires, mon objectif, c’est de fonder une dynastie ! Il faut qu’à l’avenir il y ait nos codes ! Je vous explique : je suis le dernier de ma fratrie. Je suis le seul. Avant mes fils, j’étais l’unique. Mes cousins  n’ont eu que des filles. Donc, il faut que je transmette !

Est-ce que vous souhaiteriez ajouter quelque chose ?

Ma grande expérience avec le vêtement, et notamment celui des autres, c’est de découvrir au fond d’une poche qu’il y a une marque prestigieuse qu’on n’avait pas identifiée. C’est comme trouver un trésor, un billet de 50 dans sa poche. Même 100. En fait, on se dit « en fait, il est vraiment élégant. ».

Il est tellement élégant, qu’il n’a pas dit qu’il l’était. Et je pense que l’élégance, c’est de l’être et c’est un mode de vie. Cela va bien au-delà du vêtement. Quand j’ai le choix entre bien me comporter et mal me comporter, je m’efforce de penser avec élégance – je n’y arrive pas toujours, hein ? Je me dis « est-ce que j’ai envie d’être celui qui se comporte de manière inélégante ? ». De mon point de vue, l’inélégance, ce n’est pas masculin. Même s’il faut une part de barbarie pour « être » un homme. Et vous, les femmes, aimez notre barbarie, et c’est tant mieux.

Est-ce que l’inélégance, c’est quelque chose de féminin ?

Non. Quand on n’est pas élégante, on n’est pas une femme. De même qu’un homme qui n’est pas élégant, ce n’est pas un homme. En fait, pour accéder au statut d’homme ou au statut de femme, la question, c’est l’élégance. Le reste ne sont que des animaux.

C’est un super mot de fin !

Je ne l’ai pas fait exprès.

Si vous êtes d’accord, nous allons pouvoir conclure cet entretien.

Cela me va.

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